Avant d'être dite, la parole se forme dans le corps. Comme tous les organes, elle est constituée d'eau, de terre, d'air et de feu. Elle a en plus une matière qui n'appartient qu'à elle, une matière douce qu'on pourrait comparer à de l'huile. C'est l'huile qui donne à la parole son charme puissant, sa façon de plaire, d'attirer l'attention de celui qui l'entend. Cette huile se prend dans le sang de celui qui va la prononcer. L'eau se trouve dans le foie, le feu dans son coeur ou la parole bout et s'évapore. A ce stade, elle est silencieuse. Devenue air, elle passe dans les poumons et monte vers la gorge. C'est là qu'elle prend ses sons.
Elle arrive dans la bouche qui la tisse comme le tisserand tisse les fils pour en faire une étoffe. Car la parole franchit la luette comme le fil s'enroule autour de la poulie. Là, elle est prise par la langue qui avance et recule comme la navette que le tisserand sans cesse glisse entre les fils. Elle est filtrée par les dents comme le tissu est serré par le peigne du métier à tisser. Elle sort de la bouche, sonore et chargée de sens, et entre en spirale dans l'oreille de celui qui l'entend.
Là, elle redevient eau et coule dans tout le corps de celui qui écoute. Elle contient toujours feu, air et terre. Le feu qu'elle transporte, s'il est abondant, est celui de la colère et elle provoque la dispute. S'il est en quantité raisonnable, il donne sa chaleur. Si on trouve une parole chaleureuse, ce n'est pas par hasard!
Quand il y a trop d'air en elle, la parole s'évanouit, comme un parfum s'évapore, et c'est un mot, une phrase sans importance. Plus la terre qui est en elle est lourde, plus elle lui donne son poids, elle la rend convaincante."
(La Mythologie Dogon, par Claude Helft, actes Sud junior)
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